Le 10 octobre 1974,
départ de la deuxième caravane de véhicules pour Auroville
Il était une fois, en 1974, des hommes et femmes désireux de se rendre à Auroville pour participer à la construction de cette cité hors du commun. Ils étaient 28 adultes et 4 enfants, prêts à partir, à abandonner tout ou presque, pour tenter de participer à ce projet exaltant.
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Jean-Claude Biéri, un des pionniers d’Auroville, revenait justement avec l’intention de former une caravane de futurs Auroviliens, d’acheminer du matériel industriel, des véhicules et transporter des matériaux destinés au développement des activités à Auroville.
Pour mener à bien cette entreprise, l’association d’Auroville, animée par Micheline et Pierre Etévenon, joue un rôle prépondérant de catalyseur et soutient complètement ce projet, mettant à notre disposition toute la structure administrative assurée par Christine Devin et Nicole Elfi, les locaux et le téléphone, le carnet d’adresses.
Il faut trouver des fonds, accomplir des tas de formalités auprès des administrations, acheter des véhicules, du matériel, des matériaux, les entreposer, réunir des gens qui ne se connaissaient pas et animés d’une sincère motivation etc. Rapidement une vingtaine de voyageurs (que l’on appellera les caravaniers) se font connaitre et les réunions de préparation et de concertation commencent. Tout d’abord chacun paie sa part, soit 1000 francs de l’époque (à peu près 730 Euros d’aujourd’hui) par adulte et 500 francs par enfant.
Jean-Claude part acheter un bus Mercédès en Allemagne (5550 F), sur lequel il y a quelques réparations et entretiens à faire et surtout des aménagements intérieurs (banquettes-lits, coin cuisine, WC). Également achat d’un fourgon J7 Peugeot, commandé par l’atelier de « Toujours mieux » à Aspiration ainsi qu’un camion ; ces deux véhicules doivent transporter du matériel industriel et des fournitures (ronéo, billes de nylon, tatamis etc.). Jacques Fornier, Michel Cortella et Jean-Claude B. conduiront le bus à tour de rôle. Quant au fourgon J7, ce sera la responsabilité de Guy Brunet et d’Hervé Millet.
Jean-Claude Refuveille, sa sœur et sa fille dans un superbe Combi VW rouge se joignent à nous.Les aménagements du bus vont bon train. L’évaluation de la charge transportée par le bus pose cependant problème; chacun doit revisiter ses bagages, les classer par priorité. Le départ, initialement fixé au 7 octobre, est reporté au dernier moment au 10 en raison de formalités imprévues pour la sortie du territoire des véhicules et du matériel, ainsi que des réparations indispensables à faire sur le camion. Malgré tout, le 10 octobre le bus et le J7 sont prêts, mais pas le camion.
Les caravaniers embarquent tout de même ; bus et J7 quittent Paris le 10 octobre au soir pour aller en Provence, dans une abbaye désaffectée qu’un ami nous prête, à Pourrières près d’Aix en Provence. Sur place, la vie communautaire s’organise, dans l’attente du camion; au fil des jours l’incertitude gagne les caravaniers devant les nouvelles alarmantes que nous recevons sur l’état général du camion en réparation à Bordeaux. Cette attente commence à peser lourdement sur le moral et le budget de chacun.
Le bus est en surcharge : il faut donc remonter un excès de matériel à Paris; puis finalement on apprend que le camion n’est pas en état de rouler, les roues ayant été volées (!). Après quelques échanges téléphoniques et épistolaires et pas mal d’énervement, le départ de Provence a lieu le jeudi 17 octobre : bus, J7 et Combi, en tout 28 adultes et 4 enfants (tous français sauf deux Allemands).
Objectif : Arriver à Auroville fin novembre, au terme d’un voyage de 13000km en traversant : Italie, Yougoslavie, Bulgarie, Turquie, Iran, Afghanistan Pakistan, Inde jusqu’au sud, à Pondichéry.Partis de Provence le 17 octobre, nous campons deux nuits en Italie (bord de mer, puis Vérone); après moult discussions (les décisions doivent-elles être prises à la majorité relative ou absolue ?), nous faisons l’impasse sur la visite de Venise et traversons la Yougoslavie : Ljubljana, Zagreb, Belgrade dont nous aurons du mal à sortir. Camping sauvage près de Nis où nous trouvons un excellent accueil de la population locale, mais nettement moins bon de la part de la police. Le lendemain et la nuit suivante nous décidons de rouler sans arrêt jusqu’à Istanbul via Sofia, afin de rattraper un peu de temps; en Bulgarie, au milieu de la nuit et sous une pluie battante, un barrage de police : les vopos contrôlent les passeports tandis que l’un d’eux braque une kalachnikov sur le ventre de Michel C…
Au matin du 22 octobre, nous sommes en Turquie où nous allons rester trois jours pour « souffler », se reposer, se baigner, laver le linge et, pour certains, découvrir Istanbul. Au camping sur le bord du Bosphore, nous faisons la connaissance de Christine et Maurice Meunier, accompagnés d’un gros chien noir impressionnant; ils roulent en camping-car Ford Transit jaune et vont en Inde; ils se joignent à nous.
La traversée de la Turquie d’Ouest en Est se révèle assez monotone; au fil des kilomètres le paysage devient de plus en plus aride; au début nous campons en bordure des villages avec l’autorisation des autorités locales, par la suite le campement sera plus « sauvage ».
Le ravitaillement dans les villages est parfois problématique : difficile de trouver de la nourriture pour 34 personnes dans une seule épicerie, il faut en voir plusieurs, ce qui demande plus de temps. Et puis il faut adapter les habitudes alimentaires à la nourriture locale. Nous mangeons chaque jour des céréales achetées en grande quantité par Annie Coulon à Paris. Ce qui manque le plus : les légumes. Découverte du lait caillé-aigre et du merveilleux halva.
La population nous accueille avec enthousiasme et pas mal de curiosité : une partie de foot disputée sur une place de village avec des jeunes du pays nous laisse de beaux souvenirs. Une autre fois, autour d’un feu de camp, nous chantons avec les jeunes du village. Le campement est généralement organisé en rectangle : les véhicules en périphérie, les tentes à l’intérieur; ça fait penser un peu à la conquête de l’Ouest en Amérique. Pour se laver, nous trouvons généralement un petit cours d’eau. Une fois, campant près d’un village d’Anatolie, les filles font leur toilette à la nuit tombante; elles se déshabillent sans remarquer que des garçons du village les observent; devant leur excitation, les anciens du village reviennent nous protéger toute la nuit avec leurs fusils pour éviter des agressions!
Dans le bus, on discute, commente et argumente : faut-il s’arrêter pour faire du tourisme et visiter ? La vaisselle qui traine, la distribution du repas du soir qui pourrait être un peu plus disciplinée, le respect des temps d’arrêt dans les villages, l’heure et la manière pour le réveil matinal … Et puis il faut aussi mieux organiser la feuille de route des petits véhicules, plus mobiles, pour rechercher des aires de campement et s’arrêter pour le ravitaillement. Tout y passe et tous ces points vont se renforcer, s’exacerber au fil du voyage, donnant lieu parfois à des discussions interminables.
Après Erzurum, c’est 200 km de piste au pied du mont Ararat : vision sublime, un décor de science fiction. Nous entrons en Iran le 1er novembre.Iran : Nous retrouvons le bitume. Après Tabriz, direction la Caspienne, en faisant le détour par Téhéran pour récupérer le courrier en poste restante. Bientôt, en remontant vers le Nord, nous circulons le long d’un immense lac, retenue d’eau de plus de cent km; nous trouvons une aire de camping : c’est un grand hôtel-restaurant en construction où nous sommes accueillis par le propriétaire des lieux, un général aide-de-camp du Shah; il nous apporte télé, vodka, fruits, conserves et lits de camp; c’est l’opulence tout d’un coup.Pique-nique au bord de la Caspienne : elle est fraiche et grise; nous ne nous y baignerons pas. Halte à Mashad, dernière étape avant la frontière afghane. Visite du souk, les femmes de la caravane doivent se voiler d’un tchador.
12 novembre, à l’entrée en Afghanistan, on sent un changement très net : inorganisation apparente de la douane mais racket organisé à l’assurance et au change.Nous logeons dans un petit hôtel et visitons Hérat à la découverte de la vie locale, le marché le long de la citadelle délabrée, les femmes en burqa, des artisans très doués pour récupérer et utiliser des matériaux usés jusqu’à la corde (c’est le cas des pneus). Dans le groupe il y a huit caravanières; à plusieurs reprises, un commerçant observateur me propose d’en acheter une (Marie-Hélène Vézien) pour le prix de 10000 afghanis (1000 F) !
Le 14 novembre, nouveau départ; les trois petits véhicules partent après le bus qu’ils doivent rejoindre au plus tard à Kandahar. Route en béton ondulé de 500 km, cadeau de l’URSS. En doublant un minibus à l’arrêt, le fourgon J7 conduit par Guy renverse un Afghan, passager du minibus, qui débouche de derrière le véhicule arrêté. L’homme renversé a une jambe fracturée; le J7 le conduit à l’hôpital d’Hérat.
Le Combi VW retrouve le bus à Kandahar et informe les caravaniers. Le 15, nous restons sur place à Kandahar dans l’espoir d’un règlement rapide de cette affaire. Puis le bus se rend à Kabul et de son côté Michel tente de faire intervenir l’Ambassade de France et la société d’assurances qui nous a rackettés à l’entrée en Afghanistan : peine perdue, la loi prévoit que le véhicule et le chauffeur sont immobilisés jusqu’à la sortie du blessé de l’hôpital ! Michel retourne au poste de police d’Adreskan, près d’Hérat (1000 km en bus depuis Kabul), apportant un courrier de l’Assurance ; commencent alors une attente et des pourparlers interminables : le dossier doit être écrit en Pachtou, il faut négocier un montant acceptable comme dommages pour le blessé (5000 afghanis = 500 francs), passer devant le juge qui détermine le montant de l’amende (12000 afghanis) … et attendre, attendre, attendre. Il y a en pachtou un mot à connaître : FARDA = DEMAIN qu’il faut traduire par PLUS TARD. C’est ce que dit le Gouverneur de la région d’Hérat qui reçoit Michel en audience publique. Farda …
Pendant ce temps-là, la caravane est immobilisée à Kabul, il y fait froid, il y a des grippés et les caravaniers dépensent de l’argent, dans l’attente d’un départ hypothétique toujours repoussé: le moral est en baisse et la neige visible sur les sommets entourant la Khyber Pass inquiète Jean-Claude : il ne faut pas rester bloqué à Kabul à cause de la neige. De plus, une des filles est enceinte et on ne peut pas retarder indéfiniment.
Pendant ce temps-là à Adreskan, les « rançons » sont versées; l’Afghan reçoit les 5000 afghanis devant une foule sortie d’on ne sait où en plein désert, pour voir cet évènement considérable; le pauvre homme grabataire est affolé, se demandant comment il va protéger son magot alors qu’il a une jambe immobilisée dans un mauvais plâtre. Les passeports seront redonnés aux chauffeurs Farda … mais ils devront encore attendre 7 ou 8 jours.Départ de Kabul pour le bus et le combi, sans attendre le J7. Christine Devin et Claude Arpi restent sur place dans l’espoir de pouvoir activer les choses pour Guy et Hervé. Une journée de voyage et nous voilà à la frontière pakistanaise, les grilles de la frontière se referment derrière nous, il est 17 heures : ouf ! il paraît qu’il ne fait pas bon être bloqué la nuit côté afghan. Vive le bakchich qui arrange bien des situations.
Rentrés le 12 novembre en Afghanistan, nous en sommes ressortis le 29. Le séjour a laissé des traces parmi les caravaniers, l’état d’esprit s’est dégradé.Pakistan : Changement rapide de climat et de température; un premier tchaï à Peschawar au milieu des mouches et de la chaleur retrouvée ! La population est grouillante, les jeunes gens circulent en bande, interpellent les caravanières, sont attirés par ces occidentales en pantalon moulant et il s’en faut de peu qu’ils ne renversent le bus.Enfin l’Inde. Nous sommes le 2 décembre.Nous retrouvons un peu de sérénité à Amritsar, au Temple d’Or.
Delhi. Nous résidons au Sri Aurobindo Ashram où nous restons deux nuits. Christine et Claude nous rejoignent le 5 (jour du Mahasamadhi de Sri Aurobindo). Le J7, avec ses chauffeurs, est coincé à la frontière indienne car le véhicule est au nom de X qui n’est pas présent. Avant l’arrivée à Delhi, discussions pour savoir si l’on va jusqu’à Bénarès : détour de 800 km ! Compte-tenu du retard accumulé, la décision est prise d’aller au plus direct : Agra, Khajuraho, Hyderabad, Madras et Mahabalipuram, ultime étape avant notre arrivée à Pondy.Les routes indiennes sont pleines de surprises. En passant dans une grosse ornière, un longeron du bus se casse au niveau du pont avant; il était depuis longtemps rongé par la rouille provoquée par le sel sur les routes allemandes. Après un moment de consternation, Jean-Claude trouve une solution : il faut haubaner. Avec son mât et le cordage qui sert de fil à linge, le bus ressemble à un étrange navire; le bus tangue, roule, les cordages grincent ; il ne lui manque plus qu’une voile à l’extérieur ! Heureusement nous sommes protégés par Sri Aurobindo et Mère dont les photos trônent à l’avant du bus, décorées de fleurs de jasmin.Deux jours d’arrêt à Mahabalipuram pour se reposer et effacer quelques traces du voyage. L’ambiance parmi les caravaniers s’est apaisée, le terme du voyage est très proche.
Voilà dans quel équipage nous finissons notre odyssée et faisons notre entrée à Auroville le 20 décembre 1974, sur la pelouse d’Aspiration où Alain Bernard nous reçoit. Herve et Guy n’arriveront à Auroville qu’un mois plus tard environ.
Ce texte a été écrit par Michel Cortella et légèrement modifié pour publication dans ce site.
Liste des participants
Claude Arpi, Jean-Pierre Audet, Jean-Claude Biéri, Pascal Berthier, Guy Brunet, Jean Bembaron, Paul Baptiste, Jacques Chapdelaine, Pierre Charles, Michel + Michèle + Denis + Manuel Cortella,Annie + Manou Coulon, Jean-Luc Deslignères, Christine Devin, Nicole Elfi, Joël Félix, Jacques Fornier, Annick + Anne Gaboriau, Françoise Lugagne, Claude Miceli, Hervé Millet, Paul Pinthon, Jean-Claude Refuveille, Ella-Maria Vieris, Pierre-André Villeneuve, Marie-Hélène Vézien, Hélène Stucker, Gundolf Zurmühl, Maurice et Christine Meunier et leur chien dans le Ford.
Les noms en rouge sont ceux des participants qui sont toujours à Auroville, celui en vert est celui d’une personne toujours à l’Ashram.